L'interculturel se faufile dans les tous petits détails du quotidien.

« faire comme à la maison »

 

L’interculturel est au rendez-vous dans les tous petits détails du quotidien. Est-ce que l’on met des cuillères à soupe pour manger le riz ? A droite ou à gauche le couteau ?

 

Formatrice de français à Smoothie, je réponds « le couteau à droite ». Une senior du lieu commente ma remarque et dit : « à la maison, on fait comme on veut ! ».

 

C ’est parfaitement vrai ! Dans nos espaces privés, dans nos familles, avec nos enfants, nos amis nous faisons comme bon nous semble pour mettre la table et vivre notre vie. Et les différences de façon de faire existent au sein de nos foyers qu’ils soient helvétiques ou non.

 

Je travaille pour une mesure d’intégration sociale toute fruitée qui se nomme Smoothie Intégration. Nos participants viennent faire à manger en moyenne 2 fois par mois pour les habitants des appartements protégés de cette commune, dans le cadre d'un nouveau réseau de soutien inter-générationnel et interculturel à la fois. => Caring Communities: CC 1066 Repas intergénérationnel et interculturel – Netzwerk Caring Communities Schweiz. Ils apprennent le français en cuisinant notamment.

 

« Faire comme à la maison » Cette jolie remarque me renseigne sur quelque chose qui m’intéresse. Elle raconte un élément indispensable pour améliorer le vivre ensemble, pour partager des espaces communs. Elle raconte quelque chose de l’implicite, de l’esprit du lieu, de la culture de cette habitante d’Epalinges et de différences culturelles, de représentation sociale. Elle dessine le contour d’une photographie de la vie quotidienne, de la complexité du réel. Elle laisse apparaître la multitude des codes qui peuvent se cacher dans ce que l’on croit être banal.

 

Par exemple je peux entendre une permission à écarter les normes culturelles. Le couteau à droite et la fourchette à gauche. Cela on le laisse pour le restaurant. Ici on est à la maison ! J’entends aussi une invitation à enlever ma casquette de professionnelle qui sert un cadre de mesure de pré-insertion socioprofessionnelle et donc de préparation aux normes pro en vigueur. Je peux aussi entendre le désir de cette personne d’être dans la rencontre culturelle et d’inviter nos participants à mettre la table simplement comme ils le font à la maison. Car savons-nous comment ils mettent les couverts dans leur foyer, avec leurs enfants et comment mangent-ils le riz ?

 

Quand on vit en société et d’autant plus dans une culture étrangère, tout est langage.

 

Il y a le langage des lieux : une cuisine communautaire avec un élément à l’allure industriel « le lave-vaisselle », petite capacité mais extrêmement rapide, 4 fours en hauteur, une plonge très profonde. Il y a aussi notre manière de nous habiller en cuisine : la charlotte sur la tête, le masque et tablier m’indiquent qu’on applique ici des règles d’hygiène professionnelle.

 

Quels sont les cadres de nos vies ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, ils ne sont pas toujours conscients. Nous ne les connaissons pas toujours ou pas entièrement et c’est fréquemment dans la rencontre que nous apprenons à connaître l’autre et soi-même. L’interculturel fait partie de notre quotidien que l’on soit suisse, afghan-ne, érythréen-ne ou syrien-ne.

 

Etre en sécurité à la maison constitue un pré-requis pour apprendre au contact d’usages différents qui nous renvoient à ce que l’on sait ou à ce que l’on ne connaît pas encore et ce que l’on fait comme être humain porteur de culture, d’apport culturel.

 

Nos participants adultes ont eux-mêmes des savoirs-y faire en cuisine, possèdent leurs références et ils découvrent d’autres manières de faire. Nous le savons bien .Nous apprenons tout au long de notre vie et tout ce que l’on sait faire aujourd’hui, nous l’avons appris un jour. Nos participant-e-s découvrent des normes culturelles implicites dont nous devons nous-mêmes prendre conscience pour partager ces codes de la société non explicités.

 

Dans cet instant où nous mettons les couverts se jouent tout le travail que nos participants ont à faire au quotidien pour apprendre le français, langue d’intégration pour eux puisque c’est ici qu’ils vivent. En effet, l’enjeu de leur intégration est aussi de prendre en compte ce qui nécessite encore du sens dans toute l’acception du terme. Dans quelle direction s’inscrit cette parole, où est-ce qu’elle me mène ? Qu’est-ce qu’elle me fait vivre ? Qu’est-ce qu’elle signifie pour moi et dans le cadre où j’évolue ?

 

Continuellement dans la vie quotidienne se chevauchent des normes privées et des normes publiques ou professionnelles. C’est vrai pour eux, assurément, mais pas seulement.

 

C’est aussi vrai pour tout un chacun lorsque des différences de point-de-vue apparaissent. Il y a bien souvent un cadre social, des valeurs qui diffèrent des nôtres.

 

Ces différences sont construites dans l’intimité de notre être, implicitement. Ce sont les fruits d’une compréhension du monde, d’apprentissages, de singularités personnelles, de culture.

 

L’interculturel est une chance de rencontre qui se dévoile sans crier gare, une invitation à rendre l’implicite plus explicite. C’est apprendre au sens large avec ce qui constitue notre sécurité intérieure, notre maison et suffisamment de désir et de confiance du monde extérieur pour s’élancer, un pas de côté.

 

Joëlle Meuwly, 28.03.22